60 ans et tout reste à faire

L'impossible reste à faire

Souffrez mais ne mourez pas !

Le soixantième anniversaire de l'appel de l'abbé Pierre pendant le terrible hiver 54 est passé assez inaperçu.

Il faut dire que l'hiver est doux cette année. Pas de SDF retrouvés morts de froid. En tous cas pas en masse.

Ouf !  Ces morts juste à côté de bâtiments bien chauffés nous heurtent car elles sont tellement évidemment évitables.

On se dit qu'il aurait suffi d'ouvrir une porte... D'où les plans « grand froid ».
Mais est-ce vraiment leur souffrance qui nous préoccupe ?

La vie dans la rue est terrible même quand il ne fait pas -15°C mais nous l'oublions la plupart du temps.

Dormir dehors, c'est devoir lutter contre le froid et les intempéries à n'importe quelle saison, les jours de canicules ne sont pas si nombreux,  et aussi devoir se protéger contre les agressions.

Donc n'avoir qu'un sommeil très insuffisant en quantité et en qualité et un organisme affaibli.

C'est l'impossibilité de se laver régulièrement et de manger correctement. C'est surtout subir l'indifférence des passants et la souffrance de l'exclusion sociale. Les sans-abris sont donc très rapidement en mauvaise santé physique et mentale, avec bien sûr très peu de possibilité de se soigner. Leur espérance de vie est donc très réduite.
Alors pourquoi s'émouvoir quand ils meurent de froid? Ils meurent juste un peu plus vite, c'est tout. Cela nous pose un problème de conscience parce que la mort plus rapide ressemble plus à une mort violente, et se pose alors obligatoirement le problème de la responsabilité. Le problème reste pourtant le même.
Nos sociétés dites civilisées acceptent d'abandonner ainsi complètement ceux qui n'ont pas su ou pas pu jouer des coudes dans la compétition infernale.

Nous évitons même de les regarder, comme on évite de regarder dans le vide par peur d'y tomber. Car nous savons bien que cela peut nous arriver. Même si, pour nous rassurer, nous essayons de les rendre responsables ou même volontaires de leur malheur : « Dès qu'on leur donne un peu d'argent, ils le boivent ».

Car bien sûr, nous, nous serions capables de vivre cette vie-là sans tomber dans l'alcool ou la drogue.

Ou « Ce sont eux qui veulent dormir dehors car les lieux d'hébergement sont à moitié vides, ils ne veulent pas y aller ». Faux. Cela fait des années qu'il manque des places dans les abris d'urgence. Et pourtant les SDF ne s'y rendent souvent qu'en dernier ressort, car ces refuges ne sont ni sécurisés ni accueillants.
Pourtant des solutions existent : Un journaliste du Guardian vient de faire une enquête sur le nombre de logements vacants en Europe : il en a compté plus de 11 millions, soit le triple de la population européenne de sans-abris, estimée à 4,1 millions de personnes.

Ces chiffres ont d'ailleurs explosé tous les deux depuis 5 ans à cause de la crise immobilière de 2008. L'exemple le plus parlant est l' Espagne : Une grande partie des logements vacants sont aux mains des banques après des saisies hypothécaires, et elles refusent de les mettre en vente pour éviter une baisse des prix et pour récupérer le montant de la dette. Or ces banques ont bénéficié d'importants financements publics. Il serait pour le moins normal que l'Union Européenne, en retour sur investissement, les oblige à mettre ces logements à disposition.
En France, il y a 2,5 millions de logements vacants, et le bilan de la ministre du logement sur ce point est bien insuffisant. Certes la taxe sur les logements vacants (depuis plus d'un an dans les villes de plus de 50 000 habitants) a été renforcée en 2013, mais elle ne concerne que 736 000 logements

. Et sur les 90 000 procédures contre des logements repérés comme anormalement vacants, moins de 5 000 ont abouti à une solution, et il n'y a eu aucune réquisition.
On dit qu'une société se juge à l'état de ses prisons où au sort réservé aux personnes âgées. Elle se juge plus généralement sur la façon dont elle traite les plus faibles de ses membres. Et cela devrait nous faire réfléchir.

A la semaine prochaine
Colombe
Colombe88@laposte.net

60 ans de l'appel de l'Abbé Pierre par TLM